LE SYNDROME DE LA DIPLOMITE

  1. Contexte du système éducatif camerounais

En faisant une analyse sommaire, on note que notre système éducatif est tributaire du système colonial qui avait pour but de former les administrateurs ayant pour mission principale, d’assurer le prolongement, voire la pérennité de l’administration coloniale, afin de préserver le patrimoine qui avait été exploré et confié.

Après plus d’un demi-siècle, on observe que la société a subi de nombreuses mutations tant sur le plan économique, politique que social. Par ailleurs, on assiste à une inadéquation entre les programmes préconçus à l’époque coloniale et les besoins actuels du marché.

Selon canalblog (12/10/2005), la France avait en général 20 ans de retard sur des pays comparables ! Une grande partie de la population française est constituée des conservateurs acharnés. Ils luttent pour préserver leur sécurité sociale en ayant, leurs petites maisons, leurs voitures, leurs vacances, leurs assurances, …

Ce conservatisme a pourrit jusque dans le travail ! Car en France il faut : des diplômes, des certificats, des brevets,… et plutôt que d’avoir des gens compétents, on a des diplômés.

 

Ce modèle a été calqué et dupliqué dans la plupart des pays de la métropole. Et si l’on s’arrêtait un instant pour faire un bilan mi-parcours, après de nombreuses réformes mises en œuvre par le gouvernement, on peut se rendre compte que nous sommes plongés dans un statuquo pour la raison simple que, notre politique d’éducation n’a pas connu de véritables réformes même si l’on ose parler ces derniers temps de système LMD et d’APC, qui sont sans doute des innovations, mais leur mise en application pose encore des problèmes à cause de l’absence d’outils d’accompagnement…

Loin d’être une panacée, et article vise à sensibiliser les EXPERTS sur une table ronde pour en parler, définir une véritable politique, mettre les moyens pour accompagner le changement, définir les indicateurs de suivi évaluation, et faire le bilan de clôture devrait s’inscrire dans l’ordre des urgences du politique. Ceci est fondamental pour asseoir notre modèle de leadership qui constitue le socle du développement au lieu de continuer à promouvoir le culte de la diplomite, pendant que notre défaillance à faire face à la compétitivité est perceptible sur le plan national et international.

  1. Comprendre ce qu’est la diplomite

En essayant de comprendre ce qu’est la diplomite, on peut tenter de la définir comme la tendance morbide à multiplier des diplômes dans l’espoir de s’assurer une sécurité sociale, à travers un emploi décent c’est-à-dire stable et bien rémunéré.

La diplomite pose donc un réel problème d’orientation qui est le fondement du succès scolaire, universitaire et surtout professionnel. Ceci soulève une véritable problématique de leadership qui nous ramène à questionner sur : Quelle vision avions-nous défini dans notre politique d’éducation au lendemain des indépendances ? C’est ce qui fixe le cap et oriente la vision de développement d’un pays.

A partir de ce moment, l’apprenant devrait s’accommoder à cette vision en choisissant la formation qui correspond non seulement à son potentiel, ses aspirations professionnelles et aux besoins du contexte économique.

Mais nombreux sont ceux-là qui choisissent leur formation en suivant les tendances vouées aux communications politiques qui sont parfois contraires à la réalité, d’autres le font par mimétisme.

 

  1. Contexte du marché de l’emploi au Cameroun

L’analyse du marché de l’emploi au Cameroun permet de questionner sur la situation des jeunes en chômage par rapport à leur diplôme, et les travailleurs par rapport à leur salaire.

  • Les études de l’ESI réalisées en 2005 présentent un taux de chômage de l’ordre 4,4%.

A l’issue de la conférence internationale de clôture du projet d’amélioration des politiques d’emploi jeune en Afrique, tenue du 20 au 24 juillet 2019 à Yaoundé, 2/3 des jeunes dont l’âge est inférieure ou égale à 35 ans sont intéressés par les questions d’emploi. A cette occasion, nous apprendrons que le taux de chômage est de 10% contre 70% de taux de sous-emploi, c’est-à-dire ceux qui sont dans la précarité et ne jouissent pas d’un emploi décent.

Pour la plupart, le fait de ne pas trouver un emploi décent fait penser que c’est à cause du manque de diplôme ou, quand on n’a pas le diplôme qu’il faut, on a l’impression que l’on ne peut plus rien faire ».. Nombreux sont ceux qui se jettent aveuglement à la quête du diplôme le plus élevé dans l’espoir que cela leur garantirait un emploi décent. D’autres vont jusqu’à multiplier le même diplôme dans les filières différentes.

Le paradoxe est que, plus on est allé loin à l’école, plus on est exposé au chômage.

Plus on multiplie les diplômes, on est embarrassé face au choix professionnel.

  • Et quand bien même on a trouvé un emploi, est ce que les salaires payés sont proportionnels au diplôme présenté ?

Combien d’entreprises respectent la législation en matière de catégorie socioprofessionnelle ?

La difficulté pour un jeune à trouver un emploi décent l’entraine dans la quête de multiples diplômes qui a un moment donné favorise ce que l’on peut appeler le ‘‘SYNDROME DE LA DIPLOMITE’’. Et tout le monde se plonge dans l’illusion d’obtenir un diplôme sans s’interroger sur les contenus de formation et les débouchés. On croit que les bacc +2 ou les licences ne fournissent pas les acquis nécessaires pour obtenir un emploi et qu’il revient absolument de faire un master. Pour ma part, un Bacc + 3 devrait permettre à son titulaire de trouver un emploi. Mais hélas !

 

C’est parfois idiot de vouloir obtenir un master sans s’interroger sur le problème que l’on veut résoudre dans la société, car le Master s’inscrit dans un processus de recherche, il n’est pas un diplôme de formation initiale, lequel offre à l’apprenant les pré requis lui permettant de mieux appréhender le contexte universitaire pour faire un vrai choix en tenant compte des problèmes auquel il apporte une solution. D’où même l’utilisation du terme SOUTENANCE DE MASTER. L’apprenant ici a atteint une maturité, il sait ce qu’il veut, il sait pourquoi il est à l’université. On estime qu’il a réalisé un travail de recherche ou des expérimentations à l’issue desquels il a obtenu des résultats objectivement vérifiables, qui peuvent faciliter les prises de décision au niveau de l’entreprise comme au niveau institutionnel.

Si vous n’avez pas identifié un problème à résoudre, à quoi vous sert donc le master ?

Si tout était bien pensé au départ, est-ce que le marché Camerounais a atteint la maturité d’absorption des Masters ?

S’il convient de dire que le diplôme permet de trouver un emploi, on peut le circonscrire dans la fonction publique, qui recrute les ressortissants des écoles telles l’ENAM, l’EMI EMIA, L’ECOLE DE POLICE…

Dans le secteur privé, l’exception peut être établie avec des écoles appartenant aux congrégations qui possèdent des puissants lobbyings.

Revenons aux écoles d’État, N’y’a t-il pas une discrimination entre les diplômés issus de ce qu’on appelle chez nous LES GRANDES ECOLES, et les diplômés de différentes facultés qui doivent à leur tour se battre pour trouver le précieux sésame, alors que leurs contemporains bénéficient de nombreux privilèges ? Et s’il fallait que l’État accorde la chance à tous les diplômés, combien de structures dispose cet État pour offrir l’aubaine à toute cette masse d’étudiants estimés à plus de 500 000 qui sortent chaque année de nos écoles ?

Qu’allons-nous faire donc ?

5. questions qui font réfléchir

  • Combien d’entreprises sont créées chaque année et pour quelle demande ?
  • Combien d’employés ont vu leur carrière en pâtir à cause des parasites qui brandissent des diplômes sans contenu fiable ?
  • Combien de diplômés se retrouvent aujourd’hui en chômage alors qu’ils ont investi leur temps, et leur budget pour obtenir ce qu’ils croyaient leur garantir une carrière professionnelle décente ?
  • A quand le jeune diplômé pourrait-il être propriétaire de son logement, fonder une famille, assurer une éducation soutenue à ses enfants?
  • La crise sociale qui s’amplifie n’aura-t-elle pas de conséquences difficiles à maitriser par l’État, qui a la mission d’agir en tant qu’acteur de régulation de la situation économique et préserver le bien-être social de ses populations ?
  • Et si l’on se sentait abandonné par cet État, que faudra-t-il préconiser pour subsister ?

 

6. Quelques conséquences de la diplomite

La DIPLOMITE peut présenter de nombreuses conséquences dans un contexte où la notion d’éducation ou de formation est encore mal perçue. Malgré cela elle présente quelques avantages dont on ne peut faire abstraction de les énumérer dans cet article.

Conséquences positives

  • Valorise l’estime de soi en milieu social

Au sein de sa communauté, on peut être fier de brandir son titre face aux personnes moins lettrés, en milieu professionnel, à des occasions de séminaire ou conférence. Notre distinction peut offrir une plus-value à l’image étiquetée sur nous par ceux qui nous suivent.

  • Permet de bénéficier des promotions dans l’entreprise

Et si l’on respectait les règles en matière de catégorie socioprofessionnelle, le diplôme serait l’indicateur de mesure du niveau de performance, détermination du poste à occuper, de fixation de salaire de l’employé au sein des entreprises.

  • Facilite l’insertion sur un marché concurrentiel

Face à la concurrence, les titulaires d’un diplôme élevé ont tendance à se démarquer en situation d’emploi ou d’auto emploi. Les diplômés ont plus de chance d’intégrer les multinationales ou les organisations internationales qui privilégient le diplôme et les compétences.

Conséquences négatives

  • Crée des frustrés en cas du manque d’emploi

Comment un chercheur d’emploi ayant englouti ses ressources pour obtenir des diplômes universitaires ne sera-t-il pas frustré ? Il s’occupera à toujours peindre en noir toutes les initiatives entreprises par le politique tant qu’elles ne satisfont pas ses intérêts.

  • Le chômage est au rendez-vous du diplôme qui ne répond pas aux besoins du marché

Beaucoup de pays ne se sont pas arrimés véritablement à la mondialisation, et par conséquent, certaines formations reçues à l’étranger ne cadrent pas avec le contexte économique du pays d’origine. Avant d’opérer un choix, l’apprenant doit s’interroger sur les besoins du marché et éviter de faire les choix à outrance. Les entreprises ne veulent plus assurer ce complément de formation et jette tout le dévolue sur l’école.

  • Des entreprises ne respectent pas la catégorie socioprofessionnelle au regard du diplôme

Le paradoxe auquel on peut faire face est de trouver deux diplômés issus de la même école de la même année travaillant dans des entreprises différentes du même secteur d’activité et payé à des salaires différents. Ceci s’illustre mieux avec la loi de 1992 qui privilégie la négociation du salaire entre l’employeur et l’employé et réduit au mieux les chances pour l’employé d’atteindre parfois le minimum ou le maximum fixé par notre législation.

 

7. Conseils pour éviter le piège du chômage

Face à cette gangrène que constitue le chômage, le jeune doit être avisé et définir ses choix à partir de sa vision et des objectifs clairs et précis.

Pour cela, il doit :

  • Choisir son statut dès le départ (devenir patron ou employé)
  • Bien analyser les besoins du marché afin d’opérer son choix
  • Choisir la filière en adéquation avec les besoins du marché
  • Choisir un domaine de formation après avoir identifié un problème à résoudre dans la société
  • Éviter les choix à outrance
  • Éviter de faire les cycles de formation de longues durées
  • Trouver le moyen d’étoffer ses diplômes avec les formations professionnelles de courtes durées
  • Être à l’écoute du marché et se former de façon continue
  • Accepter les premières propositions d’embauche pour déjà être quelque part, car c’est dans l’emploi qu’on trouve facilement un autre emploi
  • Donner le meilleur de soi dans l’entreprise qui nous recrute

 

8. Que doit faire l’État pour juguler la crise sociale ?

Il est nécessaire de faire quelques suggestions pour aider notre état à renégocier son contrat social avec sa jeunesse, pour juguler la crise sociale qui s’installe progressivement.

 

Cela doit passer par :

  • La sensibilisation sur la prise de conscience collective d’une vision de développement du pays
  • L’incitation aux investissements étrangers
  • La promotion du made in Cameroun
  • L’Augmentation du budget du MINEFOP pour promouvoir la qualification et non le culte de la diplomate.
  • La promotion et la reconnaissance des DQP/CQP au niveau des entreprises et surtout au niveau du MINFOPRA (Ministère de la Fonction publique et de la Réforme Administrative) afin de faciliter aux titulaires de ces diplômes l’accès à la fonction publique à travers les différents concours.
  • L’établissement par le MINEFOP, des diplômes (VAE) équivalents à ceux de l’enseignement supérieur, pour ceux titulaires d’un Bacc +…qui souhaitent poursuivre les études supérieures.
  • La promotion de l’entreprenariat à travers les programmes existants, mais l’accompagnement et le suivi des porteurs de projets serait idéal.

Conclusion

La diplomate devrait être considérée comme une gangrène destinée à plomber le développement économique du pays. Si les dispositions ne sont pas prises dans ce sens, les jeunes arriveraient à croire que l’illettré de demain sera celui qui ne possède pas au moins un Master. On créera le terroir de diplômés moins que de qualifiés, et contenir la crise sociale qui se dessine à l’horizon sera un grand danger pour notre émergence.

Article rédiger par Gustave Tchouamo 

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